Journée d’étude sur les destinations touristiques gourmandes – 1E rencontres de Fontjoncouse

Terminé

Partout dans le monde, et plus particulièrement dans les sociétés industrialisées, des destinations touristiques gourmandes à géométries variables, révèlent une double réputation à la fois touristique et gourmande, avec l’hypothèse que l’une alimente l’autre.

Jean-Marie Hazebroucq a montré que le terme destination a « en français, [un] double sens à la fois de « lieu » : « lieu où l’on se dirige, où l’on est dirigé » (arrivée à destination) et de « finalité (du bas latin destinatio), d’usage (le purpose anglo-saxon) (2009). La destination peut donc se comprendre comme le lieu où l’on se rend et l’emploi fait de ce lieu.

L’approche fonctionnelle des destinations touristiques et l’étude de leur production et de leur marchandisation marque la recherche contemporaine en sciences sociales (Leite et Graburn, 2010, p. 22). En particulier, depuis les années 1980, le champ du tourisme investit largement le terme, notamment pour sa polysémie qui permet d’englober « tout à la fois un lieu à voir, l’objet d’un désir ou d’un rêve, et une organisation capable de réaliser ce rêve » (Kadri, Khomsi et Bondarenko, 2011, p. 12).

D’un point de vue organisationnel, Kadri, Khomsi et Bondarenko défendent l’idée que la destination est « un ensemble dynamique de projets conçus comme efforts intentionnels et intéressés des acteurs intervenants » (2009, p. 23). Or, toute dynamique implique un mouvement, une évolution, une modélisation spatiale. Alors qu’il s’intéresse au management des destinations touristiques, le géographe Philippe Violier remarque ainsi que « la destination touristique peut être définie à la fois comme une représentation et comme une réalité sur laquelle les touristes sont diversement informés. En tant que représentation, elle ne peut être appréhendée de manière objective comme un lieu ou un territoire, mais seulement à partir de l’image dynamique, puisqu’elle évolue notamment par les pratiques que les touristes s’en font » (page 36). Tout à la fois projetée, conçue, perçue et pratiquée, la destination touristique évolue ainsi au gré des représentations et des pratiques des différents habitants, temporaires et permanents.

Ce processus amène Kadri, Khomsi et Bondarenko à définir cinq projets distincts mais interconnectés : « Ces projets, à la fois différenciés mais concourant à la formation d’un projet intégré, renvoient à des dimensions diverses. Ainsi, nous distinguerions 5 projets liés organiquement entre eux : un projet anthropologique (vision des leaders, motivation des touristes), un projet économique (marché, produit touristique), un projet d’aménagement (mise en tourisme des espaces), un projet de gestion (mécanisme d’organisation et de gouvernance), un projet urbain (projet sociétal) » (p. 23-24).

Les destinations touristiques gourmandes peuvent être identifiées comme des destinations touristiques « thématisées » par le « gourmand », pour lesquelles le rayonnement et l’attractivité touristiques reposent sur le « gourmand » qui est ainsi le motif du déplacement touristique.

Pour la géographe Maria Pilar Leal Londono : « Il convient de dire également que la relation qui existe entre la gastronomie comme produit touristique et la
destination touristique est synergique, car la destination fournit l’alimentation, les recettes, les chefs et les aspects culturels qui font la gastronomie un produit
idéal à consommer pour les touristes (Fields, 2002 ; Richards, 2002 ; Scarpato, 2002) » (2015, p. 11).

En 2013, Etcheverria et Scheffer tentent de caractériser les conditions nécessaires du passage d’un lieu gourmand à une destination touristique gourmande. Les auteurs mettent en avant 4 caractéristiques :

  • Il est projeté comme gourmand par les touristes
  • C’est un lieu de confrontation entre le microcosme et le macrocosme
  • Il est impulsé, valorisé et promu du point de vue touristique par un acteur central
  • Il a subi une transformation touristique

(Etcheverria et Scheffer, 2013 ; Etcheverria 2016)

La journée d’étude entend poursuivre cette réflexion afin d’appréhender les processus d’émergence et de construction des destinations touristiques gourmandes.

Il s’agit en effet d’investiguer les dynamiques géographiques en cours, à différents niveaux d’échelle, du ponctuel au zonal.

1. Dynamiques ponctuelles des destinations touristiques gourmandes

À l’échelle géographique infra, le Guide Michelin note que le restaurant 3 étoiles « vaut le voyage » tandis que le 2 étoiles « vaut le détour ». Plusieurs auteurs (Etcheverria, 2011 ; Marcilhac, 2011 ; Clergeau et Etcheverria, 2013) ont étudié ces dynamiques ponctuelles et constatent l’effet polarisant des restaurants 3 étoiles et le rôle « central » des chefs étoilés qui, par la création d’une « atmosphère gastronomique » (Clergeau et Etcheverria, 2013), mettent en place les conditions nécessaires au développement local. Lieux isomorphes, homothétiques, les restaurants 3 étoiles peuvent ainsi être compris comme des centres rayonnants, attractifs et structurants, d’un point de vue touristique et gourmand.

Une autre dynamique ponctuelle est celle de certaines villes touristiques qui sont animées par un « bouillonnement », une « effervescence » gastronomiques, dont le positionnement géographique relatif au niveau mondial repose sur sa gourmandise, son identité gourmande. Clergeau et Etcheverria (2021) ont ainsi étudié la « scène gastronomique » de Nantes traversée par des tensions gastronomiques grâce notamment aux actions de Richard Baussay, chargé de promotion culinaire au Voyage à Nantes.

2. Dynamiques zonales des destinations touristiques gourmandes

Impulsées par des chefs, des acteurs institutionnels du tourisme, mais également par d’autres acteurs comme les agriculteurs (Muller et al., 1989 ; Marcelin et Bugni, 2016) et les acteurs politiques, les destinations touristiques gourmandes révèlent également des dynamiques zonales.

Bailly et Hussy (1991) théorisaient déjà à la fin du 20e siècle, une « diagonale gourmande », qui suivait l’axe touristique de la Nationale 7, partiellement recréée par le récent projet de Vallée de la Gastronomie. Aujourd’hui, la géographie des restaurants 3 et 2 étoiles dévoile la nouvelle configuration d’un « arc gourmand », méditerranéen, allant de Fontjoncouse à Menton en passant par Marseille et Monaco (Etcheverria, 2019, page 151).

À une échelle plus petite encore, le « gourmand » devient une ressource essentielle dans la recherche de diversification touristique des pays de Savoie. Courchevel est ainsi la commune la plus étoilée de France au prorata de son nombre d’habitants (Etcheverria, 2019, p. 128), et les pourtours du lac d’Annecy comptent maintenant 8 tables étoilées (Boutain et Etcheverria, 2021). Megève, quant à elle, se positionne depuis 2019 comme la capitale de la cuisine de montagne grâce notamment à l’événement gourmand Toquicîmes

Ces dynamiques ponctuelles et zonales sont le résultat de décisions, de choix, de jeux d’acteurs. Il s’agit dès lors d’observer les co-constructions des destinations, au travers des projets et stratégies des acteurs, y compris les touristes et de saisir les discours et les imaginaires du tourisme et de la gastronomie inhérents aux décisions prises par les acteurs.

3. La co-construction des destinations touristiques gourmandes

Les destinations touristiques gourmandes sont des concentrations de projets, de pratiques et de représentations sociales émanant d’acteurs privés, publics, parfois associatifs, des sphères touristiques et/ou gourmandes mais aussi des touristes.

La journée d’étude sera l’occasion de revenir sur la nature des relations entre les différents acteurs de la co-construction. Les destinations touristiques gourmandes résultent des effets de proximités géographiques d’abord puis d’une volonté stratégique de s’organiser. Aux seules proximités géographiques s’ajoutent en effet des proximités organisationnelles et décisionnelles (Dupuy et Torre, 1998 ; Rallet, 2002 ; Angeon et Callois, 2005) qui permettent la mise en place des conditions nécessaires au développement local (Etcheverria, 2011 ; Clergeau et Etcheverria, 2013 ; Etcheverria, 2019 ; Clergeau et Etcheverria, 2020 ; Etcheverria, 2020 ; Clergeau et Etcheverria, 2021).

Ces projets traduisent une rencontre entre projets d’entreprise et projets mobilitaires des touristes. Les décisions, choix et jeux des habitants permanents et temporaires participent du façonnage des destinations touristiques gourmandes.

4. Des imaginaires du tourisme et de la gastronomie au service des destinations touristiques gourmandes

La co-construction des destinations touristiques gourmandes contient une dimension imaginaire, celle des imaginaires du tourisme et de la gastronomie. Gravari et Graburn (2012) évoquent la création « d’un imaginaire touristique « conforme » à l’imaginaire des lieux » (p. 4). Le rôle des guides est essentiel comme le souligne Julia Csergo (2016) : « ils construisent des réputations, produisent des représentations mentales qui induisent des comportements appétitifs » (2016, p. 2).

Mais les guides ne sont pas les seuls à participer à la production et à la diffusion d’imaginaires : « Les imaginaires touristiques sont ainsi constitués de représentations partagées, alimentées par – ou associés à – des images matérielles (cartes postales, affiches, blogs, films et vidéos, guides touristiques, brochures, magazines de voyage, mais aussi objets artisanaux et autres artefacts) et immatérielles (légendes, contes, récits, discours, anecdotes, mémoires…), travaillées par l’imagination et socialement partagées par les touristes et :ou par les acteurs touristiques (voire, parfois, per les uns et par les autres, même si le sens donné n’est pas le même » (Gravari-Barbas et Graburn, 2012, p. 2-3). Les référents culturels partagés sont également importants comme le souligne Philippe Meyzie : « il est difficile de penser que, malgré son succès, la construction d’un imaginaire gourmand des provinces ne se soit opérée qu’au travers de la littérature de voyage. On peut légitimement penser que ce processus peut prendre d’autres formes et que bon nombre de voyageurs étaient finalement déjà imprégnés de références dans ce domaine » (2013, p. 24).